Développement de filières agricoles : pas de performance sans durabilité

Afrique, agri-food, agriculture, Aviculture, Sécurité alimentaire

7 Juin 2022

Retour sur la table ronde consacrée à la structuration de filières agricoles performantes et durables, organisée par Apexagri le 19 mai. Parmi les enseignements : il faut passer à l’action dès aujourd’hui pour développer des filières agricoles performantes en Afrique et au Moyen-Orient, et il ne peut y avoir de performance sans prise en compte des critères de durabilité.

Souveraineté alimentaire : le rôle des porteurs de projets

La souveraineté alimentaire est un enjeu majeur, alors que nous comptons plus de 7 milliards d’individus, dont 800 millions sont touchés par la faim. En cette période de guerre entre la Russie et l’Ukraine, deux des principaux exportateurs de blé mondiaux, les prix des denrées agricoles s’envolent sur les marchés internationaux… La question de la distribution des ressources se pose.

Il existe en effet un manque d’accès aux commodités agricoles en Afrique et au Moyen-Orient. Pour y répondre, la question d’une plus grande proximité entre les lieux de production et de consommation se pose. Et d’après Michel EDDI, président de l’IDDRI et ex-président directeur général du CIRAD : “on voit mal comment on peut échapper à un retour des puissances publiques pour trouver ces modes de régulation à des échelles territoriales qui soient pertinentes. En effet, les gouvernements ont un rôle clé : régulation, investissements et subventions, couverture du risque… Mais ils n’ont pas toujours l’expérience pour structurer des filières agricoles performantes.

La question de la souveraineté alimentaire au coeur du développement des filières agricoles

Michel EDDI évoque la question de la souveraineté alimentaire dans les pays d’Afrique et du Moyen-Orient

S’appuyer sur les industriels peut alors permettre de gagner du temps. Leur expérience de structuration de filières et de gestion dans des environnements divers est précieuse. Mais là encore cela ne résout pas tous les problèmes, notamment celui de la structuration des coopératives agricoles. Sans l’accompagnement des populations amenées à travailler au sein de la filière, il ne peut y avoir de succès dans la durée.

Eric CAMPOS, Directeur RSE du Crédit Agricole et Directeur de la Fondation Grameen, cite l’exemple de La Laiterie du Berger développée au Sénégal. Il a fallu beaucoup d’observation, d’accompagnement des populations locales, de temps pour que les agriculteurs s’approprient les pratiques. Cela a pris 10 ans avant que la coopérative ne soit rentable. Ce qui nécessite un budget conséquent pour couvrir les pertes le temps que la filière tourne correctement.

Table ronde Apexagri sur le développement de filières agricoles performantes et durables

Eric CAMPOS prend la parole autour de Michel EDDI, Stéphane FORMAN et Marc DEBETS (de gauche à droite)

Structuration de filières : l’impératif de durabilité

C’est sur un projet porté par le gouvernement saoudien que travaille Stéphane FORMANDirecteur du Pôle Agriculture d’Afalula, l’agence française pour le développement de la région d’AlUla. Avec un point de départ inédit dans le secteur agricole : avec un budget (quasi) illimité, peut-on développer une agriculture durable dans la région ? AlUla est l’une des régions les plus désertiques au monde. On y compte moins de 80 mm de précipitations annuelles en moyenne, qui tombent sur 5 jours dans l’année. Elle a cependant été l’une des premières régions de transitions et de commerce dans le monde par le passé.

Pour la région, la stratégie choisie a été celle de “sélectionner des filières qui ont un sens socio-économique, mais surtout un sens sur la durabilité des ressources”. Le développement de filières doit en effet répondre aux enjeux de durabilité. Qu’il s’agisse de l’héritage culturel, comme du respect de l’environnement et de ses ressources. Pas question en effet de cultiver du riz sur place. Pourtant l’Arabie Saoudite en est l’un des plus gros consommateurs au monde. Mais cela n’aurait aucun sens historique, alors que le riz n’a jamais été cultivé dans la région. Ni aucun sens environnemental, puisqu’il nécessite beaucoup d’eau pour pousser.

C’est en suivant ces critères de durabilité que le palmier dattier, les agrumes et le petit élevage ont été sélectionnés. Avec encore une fois l’impératif de s’appuyer sur les populations locales, notamment des populations bédouines installées installées sur place, afin qu’elles s’approprient le projet. Populations qui ont déjà une culture agricole, notamment via le petit élevage. Au risque que les investissements n’aboutissent sur un énième “éléphant blanc”. C’est-à-dire un projet ambitieux mais sans aboutissement et sans utilisation réelle par les agriculteurs locaux. Impensable de plancher sur la structuration de filières sans s’adresser aux agriculteurs eux-mêmes !

Développement de filière agricole à AlUla en Arabie saoudite

Stéphane FORMAN présente la stratégie de développement de filière mise en place à AlUla

Intégration de la chaîne de valeur : l’exemple de la filière avicole au Cameroun

Nous avons également eu l’honneur d’accueillir Henriette NOUTCHOGOIN, entrepreneuse et leader de la filière avicole au Cameroun avec le groupe NJS. Elle nous a livré un témoignage inspirant sur la structuration de la filière avicole camerounaise que sa famille a menée au cours des dernières décennies. Le groupe a commencé par produire des aliments de bétail, avant de décider d’importer eux-mêmes des poussins de 1 jour. Le but étant d’approvisionner les éleveurs et ainsi encourager la consommation de leurs aliments. Finalement, NJS a commencé à produire eux-mêmes leurs œufs à couver, élevant des parentaux localement. Aujourd’hui, NJS compte une vingtaine de fermes d’élevage à travers le Cameroun.

Mais il y a 5 ans, le groupe a commencé à connaître des difficultés d’approvisionnement. Notamment en tourteaux de soja et en maïs, nécessaires pour l’alimentation des poules. Un problème majeur pour un groupe qui détient 75 % de parts du marché du poulet au Cameroun. Il apparaît donc indispensable pour le groupe de diminuer leur dépendance aux importants de l’étranger.

C’est donc aujourd’hui un enjeu de structuration de la filière agricole au Cameroun qui se pose. Un projet initié par l’industriel, sans appui du gouvernement. Un témoignage particulièrement éclairant sur la réalité et de la structuration de filières en Afrique. Avec une intégration à la fois en amont et en aval de la chaîne de valeur en différentes étapes. Une stratégie doit permettre de répondre aux besoins du marché local. Cette intégration fait partie des enjeux de durabilité, puisqu’elle implique la relocalisation de productions agricoles. C’est l’un des leviers essentiels à activer pour répondre aux objectifs de souveraineté alimentaire.

Henriette NOUTCHOGOIN revient sur la structuration de la filière avicole par son groupe familial NJS

Témoignage éclairant d’Henriette NOUTCHOGOIN sur la filière avicole au Cameroun

A retenir :

Nous sommes tous d’accord sur le fait que la structuration de filières agricoles prend du temps. Cela nécessite des investissements financiers, du développement technique, et de l’accompagnement pour opérer un passage à l’échelle. La relocalisation de filières agricoles permet de réduire la dépendance envers les importations et de lutter contre la pauvreté.

Pour cela, la sélection de filières qui aient du sens tant d’un point de vue culturel qu’environnemental est indispensable. Le secteur agricole est le premier concerné par le changement climatique, et il doit être un acteur majeur de la lutte contre ces dérèglements, en développant des pratiques responsables, comme l’agriculture régénératrice. En d’autres termes : sans durabilité, il ne peut y avoir de performance ! 

Enfin, ces projets agricoles ne peuvent être couronnés de succès que si les agriculteurs eux-mêmes se sentent concernés et écoutés. C’est pour cela qu’Apexagri tient toujours à impliquer les agriculteurs à chaque étape, comme cela a été fait en associant les représentants des éleveurs au projet de structuration de la filière bétail au Tchad.