Les “communs” en Afrique, un enjeu pour les secteurs agricole et alimentaire (conférence AFD du 6 février)

Afrique, agriculture

9 Fév 2024

Mardi 6 février 2024, notre équipe a assisté à une conférence sur les communs en Afrique intitulée « Quelles politiques publiques pour les communs ? », organisée par l’AFD (Agence française de développement) à Paris. Au delà des politiques publiques, cet évènement a permis de mettre en avant des notions éclairantes pour le développement agricole en Afrique, et le développement économique de tout le continent. Les notions abordées s’appuient notamment sur l’ouvrage « L’Afrique en communs » rédigé sous la direction de Stéphanie Leyronas, Kako Nubukpo et Benjamin Coriat et publié en juin 2023. Zoom sur les enseignements issus de ces différents échanges, sous l’angle du développement de filières agricoles et de la durabilité cher à Apexagri !

Les communs en Afrique : piliers sociétaux et environnementaux

Définition

Un « commun » est défini comme une ressource en accès partagé, gérée et maintenue collectivement par l’ensemble des personnes ou des communautés qui ont accès à ce bien. Ces personnes partagent l’obligation de préserver cette ressource. La communauté établit ainsi des règles dans le but de préserver et pérenniser ces ressources. Ces règles peuvent impliquer la mise en place d’une structure de gouvernance chargée de vérifier que l’accès et les obligations sont respectés.

Ces ressources qui constituent les « communs » peuvent être naturelles (un point d’eau, une rivière, une forêt), matérielles (une machine, un moulin, un bâtiment, une centrale électrique) ou encore immatérielles (un savoir-faire, un logiciel).

Selon Benjamin Coriat, il ne faut pas confondre « commun » et « bien commun ». En effet, si un bien commun correspond à une chose que l’on partage et qui appartient à tous, il n’est pas forcément géré collectivement. Ou en tout cas, pas de la façon dont est géré un commun, avec les règles de partage et de gouvernance que cela implique. L’air que l’on respire, par exemple, nous appartient à tous, mais il ne s’agit pas d’un « commun », car il n’existe pas de gouvernance pour le gérer.

Une valeur sociétale

Historiquement, les modes d’organisations en Afrique avaient un fonctionnement inhérent commun, basé sur le refus de l’institutionnalisation d’un pouvoir. Une majorité d’Etats ont ainsi mis en place une redistribution des pouvoirs aux communautés, avec peu de force publique dans le pays.

Les communs peuvent justement palier certaines insuffisances de l’Etat. En effet, ils se situent souvent dans des lieux ou dans des domaines où la puissance publique est absente ou défaillante. Les communs sont ainsi porteurs d’une valeur sociétale et environnementale propre, qui la situent à des niveaux auxquels la puissance publique n’a pas accès.

Ils incarnent ainsi l’intérêt général et créent du lien social, de la valeur et de la paix sociale. Cela peut parfois causer certaines difficultés ou contradictions, mais le mode de résolution de ces conflits est souvent la délibération collective.

Agriculture et communs en Afrique

Une agriculture prépondérante sur le contient

Malgré son développement urbain progressif, l’Afrique est majoritairement caractérisée par son caractère rural. Avec environ 456 millions d’hectares de terres agricoles disponibles, une grande partie est composée de forêts et de zones nécessitant une conservation. L’agriculture, qui occupait 53 % de la force de travail en 2019, continue de prédominer sur le marché de l’emploi.

Les terres et les ressources naturelles constituent ainsi le fondement économique pour des millions d’habitants des zones rurales, influençant directement les questions de souveraineté alimentaire, de paix sociale et de développement économique.

La gestion des communs en Afrique représente ainsi un enjeu clé pour le secteur agricole, afin de répondre au challenge de nourrir l’ensemble de la population, dans un contexte d’explosion démographique sur le continent au cours des prochaines décennies.

L’accentuation de la pression sur les « communs »

La question des Zones économiques spéciales (ZES) a été abordée pour illustrer l’accentuation de la pression sur les communs. Ces ZES ont pour but de promouvoir l’investissement et de favoriser le développement industriel. Mais des contestations ont régulièrement (au Sénégal en 2017, à Madagascar en 2020) en raison de l’appropriation des terres par l’Etat et le transfert de leur gestion à l’administration. Cela soulève également la question de la corruption et du détournement des « communs » dans l’intérêt de l’Etat ou d’intérêts privés.

La question des ZES s’ajoute au phénomène d’urbanisation croissante que connaît le continent, et qui constitue aussi un enjeu pour les « communs ». En effet, l’explosion de la demande de logements entraîne une concurrence avec les besoins en terres agricoles, ce qui bouleverse les économies locales.

De ce fait, la pression s’intensifie sur les communs en Afrique, menaçant l’agriculture à travers la conversion de l’usage de terres qui sont souvent déjà exploitées par les communautés locales pour leurs productions vivrières (cultures, élevage, récolte ou pêche). Les individus dépossédés de leurs terres sont alors contraints de trouver de nouveaux espaces pour leurs activités agricoles ou pastorales, ou envisagent l’émigration comme alternative.

Il est ainsi nécessaire de prendre en compte la dimension sociétale dans chaque projet, et c’est ce que à quoi nous nous attachons chez Apexagri, en veillant systématiquement à impliquer les populations locales afin de leur faire bénéficier de la valeur créée.

Le défi de conjuguer souveraineté alimentaire et durabilité

A retenir :

  • La souveraineté alimentaire représente un défi pour le continent africain, et les communs jouent un rôle central. Les ressources doivent être protégées contre l’accaparement des terres, la déforestation et les changements climatiques, dans un contexte de croissance démographique rapide.
  • Pour répondre à ce défi, il est nécessaire de favoriser les projets de développement agricole à toutes les échelles. Au delà du financement, la mise en place de politiques publiques et d’initiatives locales visant à soutenir les circuits courts et les marchés locaux peut renforcer la souveraineté alimentaire, tout en garantissant que la production bénéficie directement aux communautés locales.
  • Mais ces projets doivent inclure la promotion de pratiques agricoles durables, comme l’agroécologie ou l’agriculture régénératrice. Ces méthodes, en plus de maximiser la productivité des terres, favorisent la biodiversité et la résilience des systèmes alimentaires face aux changements climatiques.