Le fourrage constitue la base de l’alimentation des ruminants dans la plupart des systèmes d’élevage. Il désigne l’ensemble des cultures ou ressources végétales destinées à être consommées par les animaux, que ce soit sous forme pâturée, fauchée ou conservée. Dans les zones à forte intensification, le maïs fourrager occupe une place centrale : récolté entier puis ensilé, il représente une source énergétique majeure pour les troupeaux, en particulier dans les filières laitières. Pourtant, dans les régions arides et semi-arides d’Afrique et du Moyen-Orient, les conditions de production sont de plus en plus contraignantes, compromettant à la fois les volumes et la qualité disponibles.
Stress hydrique : des conditions de production de plus en plus contraignantes
Sur le terrain, les témoignages se multiplient : les agriculteurs peinent à maintenir leurs surfaces en maïs fourrager, les rendements baissent et la qualité de l’ensilage est souvent médiocre. Les récoltes sont trop humides, mal conservées, ou issues de variétés peu adaptées aux conditions locales. Résultat : les troupeaux consomment un fourrage de faible valeur nutritionnelle, ce qui affecte directement les performances animales, notamment la production laitière. Dans certaines zones, les éleveurs doivent compenser en achetant des concentrés coûteux, ce qui fragilise encore davantage les systèmes d’élevage.
L’explosion des importations
Faute de solution locale, les importations explosent. Des milliers de tonnes de foin, de luzerne déshydratée ou d’ensilage de maïs sont achetées chaque année sur les marchés internationaux, notamment en provenance d’Europe ou d’Amérique. Ce recours massif à l’importation pose un problème de fond : importer du fourrage, c’est importer de l’eau, avec tous les coûts logistiques et environnementaux que cela implique. Cette stratégie n’est ni durable ni cohérente dans un contexte de rareté des ressources naturelles et de montée des incertitudes géopolitiques. En effet, la production nécessite d’importants volumes d’eau. Par exemple, produire une tonne de luzerne mobilise entre 400 et 600 m³ d’eau. En important ces fourrages, on déplace donc la pression sur la ressource hydrique vers d’autres pays, au lieu de produire localement — ce qui n’a que peu de sens pour des régions elles-mêmes en stress hydrique.
Au Maroc, la disponibilité de l’eau come enjeu stratégique
Le Maroc est souvent cité comme un exemple de développement fourrager en Afrique. Les périmètres irrigués y contribuent fortement à la production laitière nationale, et les politiques agricoles ont longtemps encouragé la culture du maïs et l’amélioration génétique du cheptel. Mais cette image cache des fragilités profondes. Les rendements stagnent, les coûts de production explosent, et l’accès à l’eau devient critique, notamment dans le bassin du Sebou. Les agriculteurs réduisent leurs assolements fourragers au profit de cultures plus rentables ou moins gourmandes en ressources. La situation est telle que Les Domaines Agricoles (dont Apexagri est partenaire à travers Domseeds) eux-mêmes envisagent de s’approvisionner en Mauritanie pour garantir la continuité de leurs élevages. En parallèle, un plan national Fourrage est en préparation, signe que le problème est désormais considéré comme stratégique.
Réinvestir la question fourragère via une approche plus réaliste
Dans tout le monde aride et semi-aride, la question de l’autonomie fourragère devient centrale. L’erreur serait de vouloir à tout prix reproduire un modèle intensif basé sur le maïs, inadapté à de nombreuses zones. Il faudrait au contraire encourager la diversification, avec des espèces plus résilientes :
- Le sorgho fourrager, par exemple, résiste bien à la sécheresse et offre un bon potentiel de valorisation, que ce soit en pâture ou en ensilage.
- Des variétés comme le sudangrass ou les hybrides bicolor montrent des résultats prometteurs.
- La betterave fourragère, concentré énergétique hivernal, peut aussi jouer un rôle.
- Les mélanges de céréales et légumineuses combinent eux rendement et qualité nutritive.
Il devient urgent de réinvestir la question fourragère avec une approche plus réaliste, adaptée aux conditions agro climatiques locales et aux contraintes socio-économiques des éleveurs. Il ne s’agit pas seulement de produire du volume, mais de produire un fourrage de qualité, avec des itinéraires techniques solides, une gestion raisonnée des ressources, et des systèmes plus autonomes. Dans un contexte de dérèglement climatique, de pression démographique et de tensions sur les marchés agricoles mondiaux, le fourrage n’est plus une variable d’ajustement : c’est une ressource stratégique à sécuriser pour garantir la résilience des élevages et l’avenir des filières animales.