Poulets africains : la filière se remplume !

Afrique, Aviculture, Sécurité alimentaire

20 Déc 2018

Oui, il pousse bien des ailes aux groupes avicoles africains. Si le continent continue d’importer plus de 3 millions de tonnes de poulets par an[1], les épisodes de grippes aviaires européens en 2015/2016 ont provoqué une chute des exportations européennes vers l’Afrique, laissant la place à la production locale.

Croissance de la production et des importations de poulets en Afrique

     Les raisons d’une telle croissance :

Une forte augmentation de la consommation de poulets

La viande de volailles est de loin la source de protéines animales la plus consommée sur le continent, dépassant les différences de religions et d’ethnies.

L’augmentation de la population, la constitution d’une véritable classe moyenne africaine (350 millions de personnes), l’urbanisation de la population… sont autant de facteurs qui expliquent l’augmentation de la consommation de viandes aviaires (estimée à 6% par an en moyenne). Pourtant celle-ci reste encore faible par rapport aux standards mondiaux : un Africain consomme en moyenne 3,3 kg de volailles par an, soit 4 fois moins que la moyenne mondiale (14,4kg selon la Banque Mondiale).

Une protection accrue des marchés

Au lendemain des indépendances, la plupart des pays étaient autosuffisants dans leur consommation de viande aviaire. Les importations des poulets congelés européens ont commencé dans les années 80, augmentant dans les années 90 suite à une surproduction européenne, puis explosant dans les années 2000, détruisant les filières locales.

Des poulets de toutes les qualités arrivent alors sur le continent, notamment les parties non nobles du poulet, qui ne sont pas consommées en Europe. Le prix faisant loi dans un contexte où le pouvoir d’achat est très faible (42% des africains vivent avec moins de 2$ / jour selon le rapport de la CNUCED 2017).

En 2005, « profitant » de la crise de la grippe aviaire sévissant en Europe, les pays africains imposent des barrières à l’importation permettant aux filières locales de se reconstituer. La Côte d’Ivoire applique un droit de douane de 1 000 F CFA/kg (1,5€/kg)[2], quand le Sénégal décide de geler ses importations. Cet exemple sera suivi par le Cameroun en 2006. Le Maroc, quant à lui, met en place un droit de douane de 20% (sauf accords commerciaux spécifiques comme avec l’UE).[3]

La route vers l’autosuffisance est encore longue

Si la production locale augmente, les importations ne diminuent pas pour autant. En 2003, 27 % des exportations de volaille européenne volaient vers l’Afrique. Aujourd’hui, ce chiffre atteint près de 50 %. Le pays de destination varie en fonction des barrière douanières. Ainsi, lorsque l’Afrique du Sud décide fin 2016 d’interdire les importations de poulets, les exportateurs européens se ruent en quelques semaines sur de nouveaux marchés comme le Congo, le Ghana, le Gabon ou encore le Liberia.

La déferlante européenne risque d’être encore plus incontrôlable lorsque les APE, les Accords commerciaux Europe-Afrique, qui vont succéder aux accords de Cotonou, entreront en vigueur en 2020.

Elevage de poulets en Afrique

Une filière de plus en plus intégrée

L’alimentation des volailles représente en moyenne dans le monde plus de 70% du prix de revient d’un poulet. La maîtrise des coûts d’aliments est donc indispensable pour être compétitif face aux poulets congelés importés.

L’interprofession marocaine, créée dès 1995, l’a très vite compris et a acté pour faciliter l’accès aux aliments et aux poussins d’un jour. Le leader ivoirien des poulets SIPRA (Société Ivoirienne de Productions Animales) s’est également développé dans ce sens. Il possède plusieurs marques : aliments pour bétail (Ivograin), poussins d’un jour (Ivoire Poussins), viande et produits à base de volaille (Coqivoire), restauration (la Sares, créée en partenariat avec le pétrolier Total pour lancer la chaîne de restauration Tweat) ainsi qu’une meunerie, Les Moulins de Côte d’Ivoire. La SIPRA est également en train de monter un projet de production de maïs en propre. L’intégration de la filière amont/aval semble aujourd’hui indispensable pour gagner en compétitivité

      Les défis pour la filière :

Améliorer la productivité

Evolutions de la production de poulets entre 2010 et 2017 pour 3 pays africains

Si le poids moyen des poulets africains augmente, le prix de revient reste encore élevé par rapport au prix du poulet importé.

Plusieurs initiatives sur le continent cherchent à inverser cette tendance. Le Centre d’excellence régional sur les sciences aviaires (CERSA) de l’Université de Lomé au Togo, créé en 2014 et financé par la Banque Mondiale, vise par exemple à révolutionner la filière avicole en Afrique de l’Ouest et Centrale. L’établissement développe des activités de recherche autour des grandes thématiques qui préoccupent les acteurs de la filière, notamment : les techniques de production, les procédés de transformation, la sécurité alimentaire, la biosécurité, la génétique, les aspects socio-économiques, etc

Former les éleveurs : professionnalisme et bonnes pratiques sanitaires

Depuis la première propagation internationale du virus en 2013, la souche H5N1 de la grippe aviaire a causé la mort de dizaines de millions de volailles et des dizaines de milliards de dollars de pertes dans le monde entier, y compris 20 millions de dollars de pertes pour le Cameroun, selon les médias locaux.

La dernière grande crise remonte à 2015. Elle a traversé les frontières en Afrique de l’Ouest. Or, il n’existe que très peu de politiques de compensation pour les producteurs de poulets touchés par le virus de la grippe aviaire. Conséquence ? Lorsqu’ils constatent des cas anormaux de mortalité de la volaille, ils évitent d’alerter les autorités de peur qu’on ne vienne détruire leur production.

Il est donc nécessaire que les éleveurs, et plus largement tous les acteurs amont de la filière, améliorent les conditions sanitaires de leurs élevages.

Lutter contre la corruption

Le fructueux business de l’importation est souvent géré par des hommes politiques africains. Ils n’ont donc pas d’intérêt à le limiter.

Si les barrières sont établies, c’est la porosité des frontières qui blesse. En effet, dans de nombreux pays, malgré les barrières douanières, le poulet congelé continue de se vendre sous cape, caché dans l’arrière-boutique des commerçants pour éviter les contrôleurs des ministères. Ils viennent des pays voisins qui n’ont pas encore interdits les importations (comme le Gabon ou la Guinée Equatoriale pour le Cameroun). [4]

Gérer la phase aval

Si tant est que les trois points précédents soient maîtrisés, certains pays, comme le Maroc, sont victimes de leurs efforts et font face à une production trop importante. Seuls 10% de la demande passent par le circuit des abattoirs qui permet de réguler le marché.

Financement

Le démarrage d’une activité de production de poulets industrielles ne peut se faire sans un certain investissement au départ. Longtemps restés timides, les éléphants africains du secteur commencent à dépasser leurs frontières. En 2016, les Ivoiriens de Société ivoirienne de productions animales (SIPRA) ont choisi de s’implanter au Burkina Faso. En 2017, les Sénégalais de Sedima ont choisi d’investir près de 7 milliards de F CFA (près de 10,7 millions d’euros) au Mali. Et cette année, le groupe marocain Zalar Holding a concrétisé son installation au Sénégal.[5]

En définitive, la production africaine de poulets, bien qu’en progression, est loin de satisfaire la demande du continent qui augmente de manière exponentielle. La corruption et la porosité des frontière limitent l’impact des barrières douanières. Le développement des filières avicoles locales ne saura se faire sans une augmentation de la productivité locale. Celle-ci passant obligatoirement par une intégration de la filière afin de maîtriser avant tout les coûts de l’aliment et une meilleure formation des professionnels sur les différents métiers de la filière.

[1] Faostat

[2] https://www.jeuneafrique.com/mag/581547/economie/export-la-filiere-avicole-prend-son-envol/

[3] http://afrique.le360.ma/autres-pays/societe/2017/07/10/13300-cameroun-le-poulet-congele-fait-de-la-resistance-13300

[4] https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/poulet-ivoirien-la-filiere-se-remplume_2732591.html

[5] https://www.jeuneafrique.com/mag/581547/economie/export-la-filiere-avicole-prend-son-envol/